Moitiés d'âme est le premier tome de la tétralogie des Chroniques des Cinq Trônes, série de fantasy young adult qui démarre bien. Déjà on ne peut qu'être séduit par le livre en tant qu'objet : sa sublime couverture attire tout de suite l’œil, devant comme derrière, grâce à une magnifique illustration (signée O'LEE) saupoudrée d'une belle écriture dorée ; sa tranche sort de la banalité puisqu'elle a également été décorée pour figurer un trône. Un bel objet donc, qui renferme une histoire fort intrigante au sein d'un univers assez riche.
Autrefois il n'y avait que les Faëes, divisées en quatre royaumes, chacun correspondant à une Saison (Printemps, Été, Automne, Hiver), et pour chaque Saison existait un style de magie (appelée ici "mägerie") particulier. Pendant longtemps le monde était entre les mains des Quatre Trônes. Puis vint le Cinquième : celui des Humains. Les Faëes leur apprirent la mägerie, mais ceux-ci étaient incapables de reproduire parfaitement celle des Faëes. Pire : ils ne pouvaient pratiquer la mägerie seuls, il leur fallait forcément être deux pour l'exercer. Les mäges jalousèrent alors les Faëes, les accusant de leur cacher les secrets de la véritable mägerie. Cette jalousie finit par se transformer en haine, et cette haine mena à une guerre entre les deux espèces.
Les Faëes disparurent, les humains restèrent. Les mäges, supérieurs de par leurs pouvoirs, prirent la tête des royaumes et créèrent une société où nul mäge ne peut être réellement libre. Ainsi les enfants nés avec du pouvoir sont retirés à la naissance pour être éduqués par les Maîtres (éducation par forcément très plaisante), et les parents qui refusent sont sévèrement punis. Nul mäge ne peut se marier par amour car l'on choisit son conjoint (obligatoirement mäge également) en fonction de leur mägerie.
Voici donc l'univers dans lequel se déroule l'histoire des Chroniques de Cinq Trônes.
Liutgarde est une jeune noble, mägeresse et miresse (guérisseuse), qui a fui Ortaire, un homme que sa famille l'a forcée à épouser et qui la gardait toujours enfermée lorsqu'il n'avait pas besoin d'elle pour tisser des sorts (entre autres choses...). Dans sa fuite, elle a atterri dans la Sylverëe, une forêt de l'ancien royaume des Faëes de l'Hiver ayant la réputation d'être maudite car rares sont ceux qui en sortent vivants. Blessée, elle a été recueillie et soignée par un groupe de caravaniers qu'elle a fini par intégrer. Au sein de ce groupe, Liutgarde s'éprend de Rollon, un mäge à l'esprit torturé et tout aussi épris d'elle. Ensemble, ils parcourent en roulottes la Sylverëe, jusqu'à ce que Liutgarde se lasse du froid sauvage de la forêt et convainc Rollon de partir avec sa nouvelle communauté dans le sud, vers la civilisation. Mais les choses dérapent, tous deux rattrapés par leur passé auquel ils vont devoir faire face.
Au niveau des personnages, j'ai adhéré à certains, pas à d'autres. Autant j'ai apprécié le personnage de Liutgarde, autant j'ai détesté celui de Rollon. Franchement, il n'y a pas plus opposés que ces deux-là. Rollon est désespérément mollasson, incapable de prendre une décision par lui-même et de s'y tenir, et il est lâche, par-dessus tout. Liutgarde a vraiment eu mauvais goût de tomber amoureuse d'un homme à la personnalité aussi peu prononcée et changeante, passant son temps à la repousser puis la reprendre pour mieux la repousser encore. Elle se montre extrêmement patiente avec lui alors qu'il ne le mérite pas, jusqu'à ce qu'elle prenne enfin du poil de la bête et décide de ne plus se laisser balloter dans tous les sens. Liutgarde donc, contrairement à Rollon, a une forte personnalité : si elle passe pour une amoureuse transie au début, elle s'affirme au fil de l'histoire, devenant de plus en plus indépendante et maligne.
Dans ce roman, l'amour ne nous est pas montré sous sa forme la plus attirante, mais nous est au contraire dévoilé sous ses aspects les plus complexes, avec ses qualités et ses défauts : nous avons certes la réciprocité, le respect, la loyauté et la confiance, mais aussi la trahison, l'interdépendance, la toxicité, la rancœur, etc. Cela n'apparaît pas qu'à travers le couple Liutgarde/Rollon, mais également grâce aux relations que les autres personnages tissent entre eux, tout aussi importantes pour l'histoire.
Et ces autres personnages, justement, je les ai tous trouvés assez intéressants, qu'ils soient détestables ou non. Avant tout car ils sont complexes, en particulier ceux qu'on apprécie le moins de prime abord. Le Capitaine, homme extrêmement laid et zozotant, apparaît au départ comme un homme faible qui ne sait pas tenir ses hommes ; au final on comprend sa haine des Faëes, et l'on s'aperçoit que c'est son aspect qui nous pousse à avoir un mauvais jugement sur cet homme malin mais obligé d'obéir à des mäges cruels et stupides. Griche, un des caravaniers, a un caractère particulièrement détestable, toujours en train de râler, critiquer, insulter ; Liutgarde se prend souvent la tête avec lui, jusqu'à ce qu'elle découvre la blessure qu'il cache profondément sous cette carapace de lourdeur. Ce ne sont que deux exemples parmi tant d'autres, mais ce sont surtout les deux qui m'ont le plus touchée. Les personnages ne sont donc ni bons, ni mauvais, ils sont tout simplement humains, avec leurs qualités et leurs défauts.
Deux autres personnages ont leur importance au sein de cette histoire : Dame Hölle et la Sylverëe. Dame Hölle est une Faëe prisonnière au sein de la Sylverëe, qui a une influence notable sur Rollon avec lequel elle s'est liée, lui permettant ainsi d'utiliser le puissant pouvoir perdu de l'Hiver. On la voit tantôt en femme bafouée, trahie par cet humain qui préfère partir avec une simple humaine plutôt que de rester auprès d'elle ; tantôt en femme haineuse, envers Liutgarde qui lui vole son amour, envers les humains qui ont détruit son espèce, envers Rollon qui est incapable de tenir un serment ; tantôt déconcertée, triste, lasse... Mais avant tout manipulatrice... Car ce qui caractérise les Faëes, surtout ceux de l'Hiver, c'est la ruse. Et gare à ceux qui osent leur manquer de respect... Au sein de la Sylverëe, Dame Hölle est toute puissante. Cette forêt, c'est à la fois sa prison et son alliée. Une forêt vivante, consciente de tout ce qui se passe en elle, de ces humains qui osent découper ses arbres, piétiner ses racines. Une forêt qui a faim, de sève, de sang.
Il y a tout un mystère autour de la Sylverëe que l'on découvre petit bout par petit bout, fascinant et terrible à la fois. Qu'est-il réellement arrivé au Faëes ? Sont-elles toutes mortes ou se sont-elles retirées dans cette Arcadie dont parlent les légendes ? Que s'est-t-il véritablement passé lors de cette Guerre ? Les humains disent que les Faëes l'ont provoquée et ont perdu. Mais nous savons tous qu'en histoire, il y a toujours deux versions : celle des vainqueurs et celle des perdants ; et que c'est celle des vainqueurs qui reste. Avec Dame Hölle, nous découvrons celle des perdants. Mais elle est tout autant biaisée que celle des vainqueurs. C'est toute la complexité de l'histoire, pouvoir comparer les versions, séparer le vrai du faux. Parviendrons-nous à voir la vérité qui se cache derrière tous ces mensonges, toutes ces versions, ces secrets ?
Les Faëes effraient et fascinent. Le secret de leur pouvoir attire les plus avides, pour mieux les piéger. Ces créatures de légende, on ne sait rien d'eux que les échos terribles que les Maîtres font courir au sein des royaumes. On en apprend davantage grâce à Dame Hölle, mais ce ne sera pas suffisant pour cerner ces êtres si mystérieux. Les prochains tomes nous fourniront peut-être plus d'information sur l'énigme qu'elles représentent.
Juste un petit point qui m'a dérangée, en ce qui concerne l'écriture. C'est le premier roman que je lie de cet auteur, dont j'avais beaucoup entendu parler, et en bien. Globalement j'ai apprécié son style, sa plume fluide, plutôt agréable à lire. Par contre je lui reproche ses phrases (souvent) trop courtes, qui hachent le récit en des moments qui, à mon goût, méritaient plus de fluidité. Par exemple on a : "Il voulut voir. Il se chaussa. Il se leva pour sortir." Je trouve que ça fait un peu télégramme (Il voulut voir STOP Il se chaussa STOP Il se leva pour sortir STOP), ce qui m'a un peu dérangée dans ma lecture.
Bon à part ça je n'ai rien à reprocher à son style, il mérite sa bonne réputation.
En bref, Moitié d'âme est une bonne introduction à l'univers des Chroniques des Cinq Trônes, une tétralogie dont chaque tome serait dédié à l'un des quatre anciens royaumes Faëes (ici on a eu celui de l'Hiver) et prévu pour être indépendant des autres. Les personnages et les relations qu'ils tissent les uns avec les autres sont vraiment bien développés, et ce de manière crédible, tout en complexité. L'univers créé par l'auteur est original et juste, tout comme son histoire, dans laquelle on plonge avec plaisir pour en ressortir à la fois rassasié et affamé. Hâte de découvrir la suite de ces chroniques !
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