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vendredi 25 septembre 2020

Les buveurs de lumière - Jenni Fagan

 



Les buveurs de lumière, roman de la Rentrée littéraire de 2017, paru en littérature générale mais avec un fond de science-fiction, qui m'avait fait de l’œil à sa sortie mais que je n'avais toujours pas lu. Maintenant c'est chose faite, et je ne regrette pas de m'être enfin décidée à le lire.

L'histoire se déroule durant l'hiver 2020-2021, du coup je me dis que c'est une drôle de coïncidence de m'être enfin lancée dans cette lecture cette même année. Sachant qu'il date de 2017, on peut dire qu'à l'époque de sa sortie c'était un peu un roman d'anticipation. Donc, durant cet hiver le monde entre dans une période glaciaire (croisons les doigts pour que ça n'arrive pas en vrai, mais avec la superbe poisse que nous avons cette année, on n'est pas à l'abri d'une catastrophe supplémentaire...) : il fait de plus en plus froid, il neige dans des endroits comme l'Israël, les glaciers se déplacent, etc.
Nous suivons cette catastrophe à Clachan Fells, dans un petit village de caravanes au pied des montagnes du nord de l’Écosse, à travers l'histoire de cette communauté de marginaux, tous plus excentriques les uns que les autres, chacun cherchant un but, une identité. Avec cette catastrophe climatique qui se profile, tous vont se serrer les coudes, profitant au maximum des moments de joie et de contemplation qui leur sont offerts.
 
L'histoire nous est racontée à travers le point de vue de trois personnages que j'ai trouvés vraiment intéressants, chacun permettant d'aborder un sujet particulier.
Dylan est un géant (il mesure environ 2m) tatoué et barbu qui a toujours vécu dans le cinéma appartenant à sa famille. Sa grand-mère et sa mère étant récemment mortes et l'affaire familiale faisant faillite, Dylan décide de tout quitter pour partir à Clachan Fells où sa mère possédait une caravane, qui à présent lui appartient. Ainsi ce géant endeuillé débarque dans cette petite communauté de caravaniers sédentaires, les cendres de ses matriarches "rangées" dans des tupperware (les urnes funéraires ne rentraient pas dans sa valise). À travers Dylan, l'autrice aborde le thème du deuil, de la difficulté de laisser partir les morts. Nous allons également découvrir avec lui un bon gros secret de famille dissimulé dans les carnets de croquis de sa défunte mère qu'il déchiffre petit à petit au fil de l'histoire, secret qui va le chambouler et dont il ne va pas trop savoir quoi faire.
Dylan va se lier d'amitié avec Stella, une ado en pleine puberté et, surtout, en quête d'identité. Avant, Stella se prénommait Caleb : elle est née garçon, mais se sentait davantage fille. Alors un jour elle a décidé de changer pour être enfin elle-même telle qu'elle se sentait. Le problème, en particulier quand on vit dans un village et que tout le monde connaît tout le monde, c'est que ce genre de changement ne passe pas inaperçu, et est souvent mal perçu. Ainsi Stella a perdu ses amis : son meilleur ami l'a laissée tombée après l'avoir embrassée (en gros il a eu honte et a suivi le mouvement), et ses autres amis l'ont tabassée. Mais Stella est une personne forte, qui ne se laisse pas démonter malgré la puberté qui arrive, et les transformations physiques qui vont avec. Elle voit en Dylan la possibilité d'avoir enfin un vrai père et la possibilité pour sa mère d'avoir enfin un homme bien dans sa vie. À travers Stella, l'autrice aborde les thèmes très actuels de la transidentité et de la tolérance.
Quant à sa mère, Constance, c'est une sorte d'électron libre. Elle n'a eu que deux relations amoureuses dans sa vie pendant vingt ans, et en même temps, parfois de manière sporadique : avec Alistair, le père de Stella, qui a du mal à accepter le changement de sexe de son fils (il l'appelle toujours Caleb et lui offre des vêtements pour hommes) et est marié a une autre femme (en fait il s'est marié trois fois, mais jamais avec Constance) ; et avec Caleb (oui, elle a donné à son fils le nom de son deuxième amant, ce qui n'a pas trop plu à Alistair mais vu que c'est un abruti on s'en moque), un homme qui voyage sans arrêt. Des relations de ce genre, ça fait jaser dans une communauté comme Clachan Fells, dont les habitants se permettent de critiquer Constance dans son dos, mais jamais en face (elle fait peur quand elle s'énerve). Constance est une femme indépendante, solidaire et bricoleuse. Pour vivre, elle récupère de vieux meubles dans les décharges qu'elle rénove pour les revendre ensuite, et n'hésite pas à aider les autres caravaniers quand ils en ont besoin. C'est aussi une mère qui aime tellement son enfant qu'elle accepte sans contester son changement de sexe et essaie au mieux de la protéger de l'intolérance des autres.
Ce sont là trois personnages forts et touchants qui vont nouer des liens très particuliers les uns avec les autres, pour former un noyau autour duquel vont graviter d'autres personnages tous un peu paumés et excentriques. Bien que j'ai apprécié ces trois-là, j'ai tout de même eu une préférence pour Stella, cette ado née-garçon-devenue-fille au caractère fort mais qui reste sensible sous la carapace qu'elle a dû se forger.

En fait, dans ce roman, la science-fiction sert en quelque sorte de toile de fond avec cette période glaciaire qui menace le monde et, ici, la petite communauté de Clachan Fells. Ainsi on a quelques éléments perturbateurs qui viennent rappeler cela, comme l'iceberg qui se rapproche de plus en plus de la côte, la neige qui monte de plus en plus... et bien sûr le froid. Un froid qui impose de plus en plus de s'enfermer, de s'isoler des autres même si certains luttent contre cela en restant le plus soudés possible. Le rythme du récit est plutôt lent, il se passe peu de choses mais chacune est essentielle à l'évolution des personnages.
Nous assistons donc ici à une fin du monde tout en douceur. Il n'y a pas de chaos comme dans les romans apocalyptiques/catastrophes clairement identifiés comme tels. Non, ici c'est calme, comme le froid qui s'installe doucement mais sûrement et engourdit petit à petit le monde...

En bref...
Les buveurs de lumière est un roman de fin du monde calme centré sur une petite communauté du nord de l’Écosse qui doit faire face à un hiver glacial sans précédent. Au sein de cette communauté vivent des personnages forts et touchants, un peu excentriques, et particulièrement bien traités par l'autrice qui, à travers eux, aborde des sujets toujours très actuels tels que le deuil, la tolérance, la transidentité, la liberté et l'indépendance de la femme. Ce récit, au rythme plutôt lent qui s'accorde avec le froid engourdissant qui s'étend sur le monde, est une ode à la nature, servie par la plume poétique de Jenni Fagan.

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