À l'ombre de nos secrets - Lily Haime

 

À l'ombre de nos secrets est le sixième roman de Lily Haime que je lis et, comme toujours, je n'ai pas été déçue. Bon par contre c'est le premier que je chronique (ce n'est pas bien, ça), du coup je fais un (très) bref récapitulatif de mes lectures précédentes :

J'ai découvert cette autrice il y a quelques années avec Clair obscur, qui m'avait tapé dans l’œil à cause de sa couverture et de l'intrigue qui tournait un peu autour de la danse : un jeune homme qui a dû abandonner son rêve de devenir danseur professionnel suite à un accident survenu après avoir été repoussé par le meilleur ami de son frère dont il était amoureux. C'était la première romance M/M que je lisais, et j'ai adoré. Puis ça a été au tour de Wild heart, qui raconte l'histoire d'un homme qui a eu une enfance difficile et qui sort de prison après y avoir passé quelques années à cause d'un incident dont il était responsable au lycée. Pour moi, celui-ci confirmait le talent de Lili Haime : elle crée des personnages complexes et forts, ses intrigues sont toujours très intéressantes, et elle est capable de susciter toute une palette d'émotions de manière particulièrement efficace. En miroir et Ainsi battent les cœurs amoureux ont des thématiques plus sombres : le premier, que j'ai adoré, se rapproche du thriller avec l'histoire d'un tueur en série ; le second, que j'ai un peu moins apprécié à cause de certaines longueurs, aborde le sujet de la secte et est légèrement orienté vers la dark romance si l'on considère la relation assez obscure que les deux protagonistes entretiennent. Pendant le confinement je me suis jetée sur Déferlante, qui raconte l'histoire d'un jeune surfeur (je devais avoir envie de partir à la mer plutôt que d'être enfermée dans mon appartement) attiré par le nouveau petit-ami de sa sœur, avec laquelle il ne s'entend pas du tout. J'ai vraiment beaucoup aimé celui-ci également, qui m'a beaucoup touchée, surtout lorsque le drame survient. C'est un schéma que l'on retrouve dans tous ses romans (dans ceux que j'ai lus en tout cas) : quand la relation entre les deux hommes commence à bien se poser, il se passe un drame qui va tout chambouler. On pourrait penser que c'est lassant, mais non, c'est différent à chaque fois, spécifique à chaque histoire. Et ça me fait souvent passer en mode "mais c'est pas juste !" (surtout pour Wild heart, qui m'a bien fait pleurer). Donc pour le moment je n'ai connu aucune déception avec cette autrice, même si j'ai des préférences pour certains de ses romans.

Avec À l'ombre de nos secrets ça a été un peu différent. Déjà parce que ça se passe pendant la Seconde Guerre Mondiale, donc des drames, il y en a bien plus souvent.

On commence l'histoire en 2013 aux États-Unis où vit Julien Lambert, vieil homme de quatre-vingt-onze ans qui un jour décide enfin de raconter son passé à sa famille. Nous plongeons alors en 1941, dans une France occupée par les Allemands. La famille de Julien possède un grand domaine près de Bordeaux, La Jale, dont la maison principale a été réquisitionnée par l'armée allemande. Un jour arrive le caporal Engel Heinrich, un ennemi qui trouble profondément Julien, alors âgé de dix-neuf ans.

Ce qu'il faut savoir, déjà, c'est qu'à l'époque l'homosexualité était considérée comme une maladie. Lorsque Julien, plus jeune, avait découvert son attirance pour les hommes, il s'est fait interner en psychiatrie pour soigner ce mal. Une période de tortures pour lui (électrochocs & co, c'était la mode en ce temps-là) qui l'a grandement marqué. Julien se croyait donc guéri, jusqu'à ce qu'Engel débarque et envoie valser toutes ses certitudes. Le problème qui s'ajoute, c'est qu'Engel est un ennemi. Mais cela n'aide pas Julien à en rester éloigné très longtemps, car Engel n'est pas comme les autres soldats allemands qu'il a l'habitude de croiser : il désapprouve cette guerre et les horreurs commises par son propre camp et se montre particulièrement prévenant envers les habitants de La Jale.

Engel et Julien vont ainsi démarrer une relation faite de secrets et d'obstacles, car entre les Allemands et les collabos, ils ne sont jamais vraiment à l'abri. Auprès d'Engel, Julien parvient à accepter son homosexualité, comprenant enfin que cela ne fait pas de lui un monstre et qu'il a bien le droit d'aimer qui il veut tout en restant qui il est.

 

À leurs côtés se tient la famille de Julien, composée d'oncles et tantes (ses parents sont morts il y a bien longtemps), de cousins et cousines, et d'amis très chers. Tous vont le soutenir dans ses choix, même si certains auront au départ un peu de mal à accepter qu'il devienne si proche d'un Allemand. Avec Blanche, Louis et Rémi, Julien faisait les quatre-cent coups. Jusqu'à ce que Blanche meure au cours d'un bombardement, mort dont Louis ne s'est jamais vraiment remis et qui va le pousser petit à petit à rejoindre la Résistance. Malgré sa haine des Allemands, Julien ne peut se permettre de se rebeller comme Louis, car il a La jale et sa famille à protéger. Cela va créer des conflits entre les amis, qui vont s'éloigner, se retrouver, s'éloigner encore, etc. La guerre n'épargne rien ni personne, y compris les amitiés et les amours les plus fortes. Une mise à l'épreuve permanente, donc, dont on ne ressort pas indemne.

 

L'histoire que Julien nous raconte se déroule sur plusieurs années, principalement durant la Seconde Guerre Mondiale (de 1941 à 1945). Cela couvre donc une grosse période, durant laquelle il se passe quand même pas mal de choses, et cela se ressent dans le traitement de la relation entre Julien et Engel. Je me suis moins attachée à ce couple qu'à ceux des romans lus précédemment, car il y a tellement d'événements (c'est normal, vu le contexte) que la naissance et l'évolution de leur relation est moins détaillée que ce à quoi j'ai été habituée avec cette autrice. On a également beaucoup d'ellipses (dues à la large période couverte dans ce roman), du coup on suit cette relation un peu en pointillés, et c'est ce qui m'a un peu déplu dans ce roman. En fait j'ai été plus touchée par les relations amicales et familiales que par la relation amoureuse. Le lien qui unit Julien à sa famille et ses amis est très fort et, avec tout ce qu'il se passe (c'est la guerre donc il va forcément y avoir des morts, des blessures physiques mais aussi psychologiques, etc.), on ne peut qu'être touché par leur amour et leur souffrance. Bien sûr je ne dis pas que Julien et Engel ne sont pas intéressants, au contraire. J'ai aimé ces deux personnages si complexes, évoluant dans une guerre qui va les changer profondément. Engel, un homme droit et sûr de lui, obligé de faire des choses qui le révulsent pour survivre et protéger ceux qu'il aime, et qui saura se faire accepter malgré les préjugés. Julien, jeune homme loyal qui, quand il aime, aime sans limites, ce qui le mettra en danger à plusieurs reprises et le poussera dans des directions qu'il n'aurait jamais pensé prendre.

 

Nous avons parfois accès aux journaux d'Engel, où nous pouvons découvrir ses pensées et ses sentiments, ce qui est assez sympa. De toute façon Lily Haime trouve toujours un moyen de nous faire percevoir le point de vue de l'autre moitié du couple, ce que j'apprécie grandement. Si quelques-uns des ces journaux sont disséminés dans l'histoire, on en trouve principalement vers la fin du roman où il décrit la vie d'après-guerre et les difficultés à retrouver une vie normale après toutes les horreurs vécues. Non, je ne spoile pas, car dès le début Julien laisse entendre qu'Engel et lui ont vécu ensemble après la guerre. Mais même avec cette info en tête, on ne peut s'empêcher d'avoir peur pour eux au cours de leur histoire. D'autant plus que la mort n'est pas la seule chose affreuse qui peut arriver, surtout en temps de guerre...

 

En bref...

Comme toujours, Lily Haime et sa plume magnifiquement poétique touchent le lecteur en plein cœur. À l'ombre de nos secrets est un roman poignant qui rend hommage à ceux qui se sont battus à leur manière pour leur liberté et leur survie à travers l'histoire particulièrement émouvante de personnages forts. Ce qui nous est conté ici, c'est le combat de français ordinaires qui désiraient seulement retrouver leur vie, mais également celle des ces soldats allemands enrôlés de force pour des convictions qu'ils ne partageaient pas. Nous nous retrouvons là face à l'horreur de la Seconde Guerre Mondiale : l'Occupation, les collabos (de gros hypocrites qui s'en sont très bien sortis à la fin) et la Résistance (beaucoup sont morts pour défendre leur liberté), la valorisation d'une race et l'extermination programmée de tout un peuple... Dans ce contexte, au milieu de toutes ces horreurs, Lily Haime nous raconte aussi l'amour : celui d'un jeune français et d'un soldat allemand qui vont se battre pour rester ensemble ; celui d'une famille soudée, composée de personnes liées par le sang ou simplement par une amitié très forte et qui vont se défendre les uns les autres face à l'ennemi. Malgré les nombreuses ellipses qui empêchent de suivre plus en détails la relation du couple principal, nous avons là un roman réussi face auquel il est impossible de rester insensible, tellement les émotions qu'il suscite sont fortes.