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mardi 27 avril 2021

Au bal des absents - Catherine Dufour

 

 
Au bal des absents est un roman fantastique en lice pour le Prix Imaginales des Bibliothécaires 2021. Je l'admets tout de suite, j'avais énormément d'appréhension à l'idée de le lire. Premièrement parce que je ne serais jamais allée de moi-même vers ce livre, mais c'est pour cela que j'aime bien participer à des prix et des challenges : cela me pousse à sortir de ma zone de confort. Deuxièmement, parce que j'avais déjà eu des retours particulièrement négatifs de certains collègues. C'est donc avec un gros a priori que j'ai entamé ce roman... qui a finalement été une agréable surprise !

Claude a quarante ans, et elle les fait. Sa vie est un désert à tous point de vue, amoureux et professionnel ; au RSA, elle va être expulsée de son appartement. Aussi quand un mystérieux juriste américain la contacte sur Linkedin - et sur un malentendu - pour lui demander d'enquêter sur la disparition d'une famille moyennant un bon gros chèque, Claude n'hésite pas longtemps. Tout ce qu'elle a à faire, c'est de louer la villa "isolée en pleine campagne au fond d'une région dépeuplée" où les disparus avaient séjourné un an plus tôt. Et d'ouvrir grand les yeux et les oreilles. Pourquoi se priver d'un toit gratuit, même pour quelques semaines ? Mais c'est sans doute un peu vite oublier qu'un homme et cinq enfants s'y sont évaporés du jour au lendemain, et sans doute pas pour rien.

Je regarde énormément de films d'horreurs, j'adore ça. En revanche je lis très peu de romans d'épouvante car j'ai toujours peur que simplement lire ne soit pas suffisant pour retrouver l’atmosphère propre à ce genre, et donc peur d'être déçue. C'est ce qu'il s'est passé avec La princesse au visage de nuit, dont l'aspect fantastique a été particulièrement décevant. Mais Au bal des absents a été grandement satisfaisant sur ce plan. Et ce, dès l'arrivée de Claude dans la villa.
En effet, la première nuit que notre héroïne va passer dans le manoir va être extrêmement éprouvante pour elle : il est hanté, et ses occupants ne sont pas spécialement amicaux (l'un en particulier, une créature non-identifiée éminemment malfaisante qui semble régner sur la demeure). Claude va donc prendre ses jambes à son cou, frôlant la crise cardiaque, se jurant de ne jamais y remettre les pieds. Le problème c'est qu'elle a très peu d'argent, pas de travail, et nulle part où aller. Et c'est là que je me suis mise à adorer ce personnage : Claude a payé pour un séjour dans ce manoir, elle va donc tout faire pour pouvoir y habiter.
Mais pour ce faire, elle doit avant tout se renseigner sur l'ennemi. Nous allons alors suivre Claude dans ses investigations : elle passe ainsi ses journées à la bibliothèque pour lire et visionner un grand nombre de fictions d'épouvante, afin de faire le tri entre les informations pertinentes pour le cas la concernant et celles qu'elle considère comme totalement farfelues. Tri qui paraît logique à Claude, mais que j'ai trouvé complètement aléatoire, car notre héroïne va mélanger un grand nombre d'astuces, piochées çà et là, ce qui va donner à lire des scènes particulièrement rocambolesques. Comme toute cette aventure, d'ailleurs. J'ai vraiment adoré ce personnage et ses réflexions, ses idées complètement folles. Ainsi elle décide d'acheter des pinces à sein, la douleur permettant apparemment d'éviter de se faire contrôler l'esprit, mais étant donné que cela coûte cher, elle va plutôt acheter des pinces à papier pour se pincer les oreilles. Pour éloigner les esprits, elle utilise du gros sel, de l'eau bénite, de l'ail, et mélange prière et insultes (car elle s'est rendu compte que les gros-mots les fait fuir). Un gros bordel, donc, comme l'est finalement sa vie.

Car si Claude en est arrivée là, c'est parce qu'elle est au bord du gouffre. Plus qu'une simple histoire de maison hantée, Au bal des absents est aussi une satire sociale. À plusieurs reprises, Claude nous parle de son expérience à Pôle-emploi, de ces conseillers qui traitent les sans-emploi comme des moins-que-rien, des parasites. Ainsi, si elle attribue le nom de l'un d'eux, Colombe, à la créature maléfique vivant dans la maison, ce n'est pas pour rien. Car finalement, l'un ou l'autre, c'est un peu pareil. Sauf qu'elle a probablement plus de chances de gagner contre la créature que contre le système. Même si, en affrontant la première, c'est aussi contre ce dernier qu'elle se bat.
La précarité de sa vie est mise en avant à travers le quotidien qu'elle se crée petit à petit dans ce petit village aussi étrange que le manoir. Claude est toujours en train de compter son argent, de calculer ses dépenses au centime près, dort dans sa voiture en plein hiver en attendant d'avoir assez d'argent pour se payer l'hôtel. Elle parvient toutefois à trouver un petit boulot pour ses dépenses quotidiennes, mais cela ne suffit pas et se voit contrainte de faire du chantage à l'américain qui l'a envoyée dans cette galère.
Certains pourraient trouver tous ces détails, cette routine, grandement ennuyants, pourtant c'est en partie là que réside l'intérêt du récit. Car c'est toute cette précarité qui donne finalement la force à Claude d'affronter la créature : sa colère face à toute l'injustice dont elle est victime est son arme la plus puissante.

J'ai donc adoré Claude, une femme complètement folle mais terriblement touchante, et ses aventures rocambolesques. Toutefois certains éléments m'ont quelque peu chiffonnée.
J'ai aimé les références aux fictions d'épouvantes qui parsèment l'histoire. En particulier l'énorme clin d’œil à la série The Haunting of Hill House (que je recommande fortement, d'ailleurs) à travers l'histoire de la fameuse famille disparue. C'est gros comme une maison ! Pourtant Claude, après avoir visionné la série, ne fait aucun rapprochement entre les deux histoires, ce qui est plutôt illogique étant donné qu'elle fait ça pour découvrir des infos utiles sur les occupants du manoir... Bon, c'est un détail, mais quand même. Ce que je reproche surtout à l'autrice, c'est le trop-plein de références. On dirait qu'elle a fait exactement comme son personnage : elle s'est renseignée sur les fictions d'épouvante, puis a tout fourré dans son récit. Les fantômes, la créature qui m'a beaucoup fait penser à Ça de Stephen King, le village reculé de tout avec ses étranges habitants, etc. (je ne peux pas citer d'autres exemples sans spoiler, mais il y en a pas mal).
Je pense qu'elle aurait dû se contenter d'une histoire de fantômes, car pour moi la créature à la Ça était de trop. Un bon fantôme bien maléfique aurait suffit, surtout qu'on ne sait rien sur cette créature, et que l'on n'aura aucune réponse à ce sujet. Plusieurs questions demeureront d'ailleurs sans réponse. Et la fin... Je suis assez mitigée à ce sujet. Je pense qu'elle aurait pu se passer des derniers chapitres, car là encore ça fait trop. Même si d'un côté j'ai bien aimé ce petit machiavélisme final, j'ai trouvé que cela arrivait de manière bien impromptue et que cela cassait avec le reste du récit. Mais toute l'histoire autour des fantômes du manoir m'a beaucoup plu (là encore je ne peux pas en dire plus sans spoiler, mais j'ai grandement apprécié les passages les concernant).
Autre petit reproche, et ce sera le dernier : le récit est parfois confus. Certaines scènes, notamment lorsque Claude se bat contre les fantômes, et principalement contre la créature, sont difficiles suivre. Oui, Claude se bat n'importe comment avec sa super binette, et je comprends qu'elle soit complètement affolée. Mais c'était parfois tellement brouillon que j'avais du mal à comprendre ce qu'il se passait.


En bref...
Avec Au bal des absents, Catherine Dufour nous livre une satire sociale au milieu d'une histoire d'épouvante totalement loufoque. L'héroïne, quarantenaire victime d'un système social défectueux, se bat pour ses droits et sa survie. À la fois complètement folle mais terriblement touchante, Claude utilise sa colère face à l'injustice de sa situation pour se battre contre ce démon qui lui bloque le passage d'un possible changement de vie. Malgré quelques défauts, tels qu'un trop-plein de références à diverses fictions d'épouvante et de passages plutôt confus, les aventures sombres mais rocambolesques de Claude font à la fois trembler et sourire. Une lecture d'autant plus savoureuse que l'histoire est bien écrite, la plume de l'autrice retranscrivant ce récit particulièrement entraînant avec une fluidité grandement appréciable.
Une bonne découverte !

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