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jeudi 1 avril 2021

Le Chant des Cavalières - Jeanne Mariem Corrèze #PLIB2021

 

 
Le Chant des Cavalières est un roman de fantasy one-shot en lice pour le Prix Imaginales des Bibliothécaires 2021. Il était également dans la sélection du PLIB 2021, mais n'a pas été choisi pour faire partie des cinq finalistes. Ce qui me convient tout à fait, car j'ai été plutôt déçue par cette lecture dont le résumé promettait pourtant un récit entraînant.

Un royaume divisé, instable, des forces luttant pour le pouvoir. Un Ordre de femmes chevauchant des dragons. Des matriarches, des cavalières, des écuyères et, parmi elles, Sophie, qui attend. Le premier sang, le premier vol ; son amante, son moment ; des réponses à ses questions. Pour trouver sa place, elle devra louvoyer entre les intrigues de la cour et de son Ordre, affronter ses peurs et ses doutes, choisir son propre destin, devenir qui elle est vraiment.
 
J'ai bien aimé l'univers créé par l'autrice, ainsi que le contexte de l'histoire, même si j'ai trouvé certains éléments plutôt flous. Au Royaume de Sarda se trouve l'Ordre des Cavalières, qui est divisé en quatre "clans", quatre Citadelles (Nordeau, Soufeu, Ousterre et Estari), chacune dirigée par une Matriarche, qui doivent allégeance aux dirigeants du Royaume, autrefois fort et indépendant. Mais Sarda a perdu la guerre contre les Comtés-Unis il y a des années, aussi le Royaume n'est-il plus ce qu'il était, à présent soumis aux règles imposées par les vainqueurs. Toutefois la situation ne convient pas à certains, qui vont alors intriguer pour rendre son indépendance au Royaume. Le problème, c'est que tous n'ont pas forcément le même but final...
L'Ordre des Cavalières n'est composé que de femmes, aucun homme ne vit au sein des Citadelles, organisées selon une hiérarchie bien établie : la Matriarche dirige la Citadelle, puis viennent les Cavalières, qui ont pour apprentie une Écuyère. Une novice ne peut devenir Écuyère que lorsqu'elle a ses premières menstruations, car sans cela, impossible pour elle de "donner naissance" à son dragon. Pas au sens strict du terme, bien sûr, mais il y a une sorte de rituel qui permet la naissance d'un dragon dont l'esprit sera lié à celui de l’Écuyère. C'est à partir du moment où une fille a ses menstruation qu'elle devient capable d'enfanter, qu'elle est alors considérée comme une femme. Plus vraiment dans la société actuelle, mais autrefois c'était le cas. Nous avons donc là toute une symbolique autour du passage de l'état d'enfant à celui de femme, qui va se coupler à un passage à l'indépendance (mais j'y reviendrai plus tard).
J'ai beaucoup aimé la manière dont sont décrits les dragons, qui ne sont pas les habituelles créatures gigantesques à écailles, mais plutôt des sortes d'oiseaux géants : ils ont des plumes et un bec, mais quatre pattes et peuvent tout de même cracher du feu. J'ai trouvé cela assez original, bien que j'aurais aimé les voir davantage en action, ce qui est très peu le cas dans ce récit.
L'Ordre des Cavalières possède également ses propres croyances et traditions, ses propres légendes, grandement inspirées de la légende arthurienne. Nous avons ainsi toute une histoire avec une épée mythique, ici nommée Lunde, que seule l'élue pourra déloger de la pierre. On pense alors aisément à Excalibur, et ce d'autant plus que l'héroïne du récit se prénomme Sophie Pendragon. La différence est que, dans cette histoire, les chevaliers sont des cavalières.
L'autrice a en effet créé un univers grandement féminin, mais de manière tout à fait naturel. À aucun moment on ne s'interroge vraiment sur le pourquoi d'une telle place de la femme, on l'accepte, on l'apprécie (parce que ça reste quand même assez rare), et c'est tout. Toutefois, on se rend compte que, si les femmes tiennent une place importante, les Matriarches ayant voix lors des Congrès, elles restent hiérarchiquement dépendantes à des hommes : le Prince et le Condottiere sont ceux qui dirigent le Royaume, et les représentants des Comtés-Unis sont des hommes. Ainsi, s'il est question pour certaines Cavalières de se libérer du joug des Comtés-Unis, d'autres iront plus loin dans leurs désirs d'indépendance.

L'autrice a donc créé un univers grandement intéressant, et ce d'une écriture particulièrement travaillée. Peut-être même trop. Quand j'ai débuté ma lecture, je me suis dit que c'était vraiment bien écrit, et cela m'a davantage motivée. Mais au fil du récit, je me suis dit que quelque chose clochait, car je n'arrivais pas du tout à entrer dans l'histoire. Et la première raison est, qu'au final, l'écriture de l'autrice est peut-être trop... scolaire ? J'ai du mal à trouver le mot adéquat, mais cela a donné un récit un peu trop froid à mon goût. Je n'ai pas pu ressentir les émotions des personnages, je ne suis pas parvenue à apprécier les descriptions des paysages. Et ce d'autant plus que, à part l'univers, les choses ne sont pas suffisamment développées dans ce roman.

Je commence par les personnages, qui ne m'ont pas spécialement convaincue. Pour moi il y a deux personnages principaux : Sophie et Éliane. Sophie est une jeune novice dans la Citadelle de Nordeau, devenue Écuyère de cendre suite à la mort de la Matriarche Acquilon : c'est un statut particulier qui la place d'office comme élève de la nouvelle Matriarche, Éliane, à laquelle elle devra succéder. Le problème est que Sophie n'a pas encore ses menstruations, et ne peut donc tout de suite suivre son apprentissage d’Écuyère, ni avoir son dragon. Elle va donc passer son temps à errer dans la Citadelle et à se plaindre de ne pouvoir rien faire. Parce que la nouvelle Matriarche n'a pas le temps de s'occuper d'elle, Sophie va trouver une maîtresse ailleurs, pour finalement tomber dans les filets d'un destin que l'on a artificiellement tracé pour elle dans une vaste machination visant à s'emparer du pouvoir. Sans cesse manipulée, tout ce que Sophie fait n'est jamais sa propre décision, toujours celle des autres. Si elle n'en avait conscience à aucun moment, j'aurais compris le personnage, mais là ce n'est pas le cas. À de nombreuses reprises Sophie se plaint qu'on ne lui laisse pas faire ses propres choix, elle montre des sursauts de colère qui ne mènent à rien, pour finalement continuer à se laisser porter par les décisions des autres. En fait, elle se plaint beaucoup mais, toujours trop passive, elle ne fait jamais rien pour changer ce qui la dérange. Je comprends que la finalité de tout cela est justement la libération des chaînes de ce destin factice, que Sophie fasse enfin ses propres choix, mais cela n'arrive qu'à la toute fin. Du coup, en attendant que cela arrive, Sophie m'a simplement exaspérée et j'ai donc été incapable de m'attacher à elle.
En revanche, le personnage d’Éliane est plus intéressant. Devenue Matriarche de Nordeau suite à la mort de sa maîtresse, qu'elle considère comme un abandon, Éliane ne se sent pas prête pour un tel rôle, et encore moins à s'occuper de sa nouvelle Écuyère, Sophie. Et si elle la laisse volontairement de côté, c'est qu'elle a des choses bien plus importantes à traiter : débarrasser le Royaume du joug des Comtés-Unis avec l'aide du Prince Roland, qui s'avère être son amant. Certes, Éliane est un personnage que l'on pourrait qualifier de froid, antipathique. Personnellement, j'ai été plus intéressée par les passages la concernant que par ceux de Sophie. Car derrière cette carapace de froideur se cache une femme pas toujours si sûre d'elle, qui vient de perdre son mentor et doit soudainement endosser d'énormes responsabilités. J'ai bien aimé ses moments passés avec le Prince, leur complicité sincère étant comme un petit havre de paix au milieu de cet océan de manipulation. J'aurais toutefois aimé que son histoire soit un peu plus développée, tout comme le personnage de Roland, que l'on ne voit apparaître qu'à quelques rares moments et qui disparaît d'un coup du récit, comme beaucoup d'autres personnages.
 
Car finalement, à par ces deux héroïnes (plus un personnage-fantôme que je ne nommerai pas), les autres personnages ne sont pas suffisamment travaillés à mon goût, apparaissant et disparaissant parfois du récit sans que l'on sache ce qu'ils deviennent, et les relations que chacun entretient avec les autres sont tout aussi survolées. De plus, nous avons pas mal d'ellipses, qui peuvent aller de quelques heures à plusieurs années, qui nous empêchent de suivre des éléments pourtant dignes d'intérêt.
Je ne dis pas que rien n'était intéressant, il y a bien quelques passages qui ont capté mon attention, mais bien peu pour un livre de plus de 300 pages. En fait, tous les passages que j'aurais pu trouver vraiment entraînants ont été sautés. Éliane doit passer une épreuve dans une grotte : on la voit s'y rendre (avec un petit combat de deux secondes sur le chemin) puis revenir à la Citadelle, sans que l'on ait la moindre idée de ce qui a bien pu se passer dans cette fameuse grotte. L'apprentissage de Sophie n'est pas décrit : on a vite fait une leçon de l'herboriste, puis Sophie se fait remarquer en s'emparant d'un artefact mythique, puis l'histoire fait un bon de quatre ans en avant. Depuis le début, on nous parle d'une grande guerre à venir, et quand elle survient, on n'en voit rien, à part le résultat. Avouez que c'est terriblement frustrant, quand même... Et ce d'autant plus que l'histoire s'arrête d'un coup, comme si on avait décidé de couper le récit en deux : on ne sait pas ce que deviennent les personnages ni le Royaume, Sophie prend une décision drastique et débute enfin son propre voyage... Cela ressemble davantage à la fin d'un premier tome qu'à celle d'un one-shot.
 
 
En bref...
Avec Le Chant des Cavalières, Jeanne Mariem Corrèze crée un univers plutôt intéressant inspiré des légendes arthuriennes mais essentiellement féminin, chose assez rare dans les romans de fantasy. Si la plume de l'autrice est particulièrement bien travaillée, elle ne sert malheureusement pas le récit, qui pèche par son cruel manque de développement, tout comme ses personnages, et ses trop nombreuses ellipses mal placées. Ce qui devait être un entraînant récit sur l'émancipation, la reconquête de son destin, devient finalement une histoire que l'on ne peut que survoler, sans vraiment parvenir à y être transporté. C'est bien dommage...
 
 
#ISBN9782361836184

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