Si on m'avait dit un jour que j'aimerais un roman de SF avec des plantes "vivantes" et "intelligentes" !
Parce que je me serais immédiatement imaginé un de ces mauvais téléfilms avec des lianes se mouvant pour attraper les humains et les massacrer. Heureusement ce n'est pas le cas dans Semiosis, premier tome d'un diptyque, bien plus subtil et bien plus intéressant que ce à quoi je m'attendais.
Parce qu'ils ne supportaient plus cette humanité destructrice (guerres, pollution, etc.), des femmes et des hommes se sont regroupés autour d'un projet utopique : partir sur une autre planète et tout recommencer à zéro pour vivre en harmonie avec la nature, oublier toute forme d'égoïsme pour mettre la priorité sur l'esprit de communauté.
C'est ainsi qu'après avoir réuni les fonds nécessaires, effectué toutes les recherches et tous les calculs possibles, un groupe de cinquante personnes quittent la Terre. Mais on a beau essayer de tout prévoir, on n'est jamais à l'abri des imprévus, qu'ils soient techniques, naturels ou humains. Et nos voyageurs vont en rencontrer pas mal...
Nous suivons ce récit à travers le point de vue de sept personnages, chacun issu d'une génération différente, l'histoire s'étalant sur une bonne centaine d'années. C'est quelque chose qui m'a surprise au départ, car je m'attendais à ce que le roman narre le récit de ces utopistes venus de la Terre et de leur installation sur cette nouvelle planète. Certes, c'est le cas, mais cette installation ne se fera pas en seulement une génération et l'histoire va plus loin encore. Ainsi le roman est découpé en sept parties, chacune racontée par un personnage différent. Ce que j'ai bien aimé, c'est que chaque partie est narrée d'une manière propre au personnage dont on suit le point de vue. Bon, j'ai moins apprécié certains personnages ou leur façon de s'exprimer (par exemple, l'un d'eux raconte au passé composé, ce dont j'ai horreur, bien qu'ici j'ai trouvé que cela passait pas trop mal), mais c'est en partie ce qui rend le récit intéressant : chaque personnage est unique, a une personnalité qui lui est propre, etc.
Je ne peux pas présenter les personnages comme je le fais habituellement, car je dévoilerais forcément des éléments importants du récit qu'il vaut mieux découvrir à la lecture. C'est assez frustrant, mais bon, pas le choix. Je parlerai au moins des deux premières générations et de leurs déboires.
La première partie de l'histoire est racontée par Octavo, un botaniste qui rêvait de paix, comme tous ceux qui font partie du projet. Son rôle va être très important sur leur nouvelle planète, car les plantes y ont une place très particulière. Déjà, il faut savoir que la planète sur laquelle ils ont atterri n'était pas celle choisie au départ, mais l'ordinateur les a conduit sur une planète censée être mieux que l'autre : oxygène et eau en abondance, plein de formes de vie, bref une planète toute prête pour eux qu'ils décident de baptiser Pax. Avant et durant l'atterrissage, plusieurs incidents vont mettre à mal leur installation : des capsules d'hibernation ont été endommagées, entraînant ainsi la mort d'un certain nombre de voyageurs ; du matériel essentiel a été détruit, dont leur synthétiseur alimentaire, obligeant ainsi les colons à ne se reposer que sur ce que la planète peut leur offrir.
Octavo a donc pour mission de déterminer l'utilité des plantes qui les entourent, celles qui peuvent être cultivées, celles qui sont à éviter, etc. Mais un problème survient avec des lianes : si certaines leur fournissent de bons aliments, d'autres se mettent tout à coup à produire du poison, entraînant la mort de plusieurs colons. Octavo se rend alors compte que les plantes de Pax ont une intelligence plus développée que sur Terre et qu'ils se sont installés en plein milieu d'un champ de bataille entre deux lianes. Alors... n'allez pas imaginer une vraie guerre comme chez les humains, pas de lianes qui se meuvent pour frapper ou autres trucs dans le genre. Comme sur Terre, les plantes s'adaptent à leur environnement : si elles veulent s'étendre, elles le font et suppriment les parasites qui les en empêchent. Mais alors que sur la Terre cela reste plutôt restreint et "discret", sur Pax cela prend des proportions bien plus importantes, car les plantes semblent être l'espèce dominante ici. Ainsi les lianes se servent des animaux morts comme engrais et considèrent les humains comme des animaux, aussi certaines se mettent-elles à empoisonner les colons pour s'étendre. Octavo va avoir du mal à faire comprendre tout cela aux autres colons, pour qui une plante ne peut être capable de raisonner. Mais une fois que tous auront compris, ils devront composer avec cette nouvelle forme d'intelligence.
Bien
sûr il n'y a pas que des plantes sur Pax, planète abritant des animaux
plus ou moins dangereux, mais très différents de ceux que nous avons sur terre. J'ai par exemple adoré les Fippochats et les
Fippolions, des sortes de félins avec des pattes ressemblant à celles de
kangourous. Ce sont des créatures plus ou moins féroces, bondissantes
et très joueuses, qui vont leur être d'une grande aide pour
débroussailler les lianes importunes. Une faune et une flore très particulières, donc.
J'ai eu un peu de mal à entrer dans l'histoire avec cette première partie, je ne saurais trop dire pourquoi. Peut-être simplement parce que ça m'avait l'air d'être un énième roman sur l'arrivée d'humains sur une autre planète, toujours avec ces thématiques de survie, d'adaptation, de découvertes... Et je n'avais pas encore trop adhéré à cette histoire de plantes intelligentes. Heureusement la partie suivante m'a davantage intéressée.
La deuxième partie est racontée par Sylvia, trente-quatre ans après l'arrivée des Terriens sur Pax. Les choses ont pas mal changé depuis l'arrivée de colons : la communauté est gérée par un modérateur élu ; certains rencontrent des problème de stérilité, ce qui est mal perçu car la reproduction est importante s'ils veulent perpétuer la race humaine sur Pax ; la vie est rude, entre les cyclones, les plantes parfois inamicales et autres dangers, aussi tout loisir est-il interdit et seules les activités utiles sont permises ; seuls les membres de la première génération prennent les décisions et considèrent la deuxième génération comme des enfants même s'ils n'en sont plus. Sylvia est une jeune femme qui étudie l'architecture, et essaie tant bien que mal de faire ses preuves. Elle est très proche de Julian, le fils d'Octavo, mais leur relation n'est pas approuvée par la modératrice car Julian est stérile. Tous deux vont découvrir un objet en verre qui semble prouver l'existence d'autres êtres doués d'intelligence venus d'une planète autre que Pax, comme les Terriens. Contre l'avis des membres de la première génération, Sylvia et Julian partent à la recherche de cet autre peuple, et leurs découvertes vont avoir des conséquences importantes pour la communauté.
Je crois que cette deuxième partie est celle qui m'a le plus choquée à cause de la cruauté (mensonges, violences, meurtres) dont vont être capables les membres de la première génération, qui se vantaient d'être des pacifistes dont la volonté était de ne pas reproduire les erreurs commises sur Terre (rester tolérant et aimant, et blablabla). De beaux hypocrites qui, sous couvert de vouloir préserver la paix, font tout pour assoir leur autorité, pour que la génération suivante fasse ce que eux jugent être le mieux. Le désir de Sylvia de ne plus simplement survivre, mais de pouvoir vivre et faire aussi des choses qui lui plaisent (et non uniquement son devoir), va constituer un véritable tournant dans la vie de la communauté.
Pour ce qui est de cette histoire de plantes capables de raisonner, j'ai fini par y adhérer à partir de la troisième partie, avec l'arrivée d'un huitième personnage-narrateur : le bambou. À travers ses pensées, nous pouvons comprendre comment les diverses plantes raisonnent (certaines sont intelligentes, d'autres considérées comme stupides, etc.) et comment elles peuvent modifier leurs caractéristiques quand le besoin s'en fait sentir. Je n'en dirai pas trop au sujet du bambou, car tout l'intérêt est de le découvrir au fil de la lecture. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il est la plante la plus à même d'évoluer, ce qu'il fera au fur et à mesure de l'histoire pour s'adapter aux besoins de la communauté. Au début j'avais peur que l'auteur fasse avec ce bambou ce que beaucoup font avec les histoires d'intelligence artificielle : vouloir à tout prix contrôler les humains pour préserver la paix. Fort heureusement, dans ce roman cela va bien au-delà de ça. Ainsi dans certaines parties, le personnage racontant l'histoire partage ce rôle avec le bambou. C'est assez surprenant d'avoir le point de vue d'une plante, mais j'ai trouvé cela vraiment intéressant.
Tout comme les nombreuses thématiques mises en avant dans le roman, notamment : la différence entre rêve et réalité, et les difficultés à garder la paix et l'esprit de communauté face aux conflits rencontrés ; la relation entre l'humain et la nature ; et, surtout, la communication. Car le titre, Semiosis, qui signifie "sémiose" en français, désigne la signification en fonction du contexte. Ainsi un même geste peut avoir plusieurs significations, et c'est le contexte qui permet de comprendre comment l'interpréter. Cela va principalement s'appliquer à la communication entre les plantes et les humains, mais également avec les autres créatures vivant sur Pax. Et cette communication va prendre diverses formes selon les êtres impliqués : visuelles, olfactives, auditives...
En bref...
Semiosis est un roman qui démarre comme beaucoup d'autres titres de SF abordant le sujet de colonisation planétaire, mais qui a su se démarquer par une certaine originalité venant de l'utilisation de la flore. Car sur cette nouvelle planète, baptisée Pax par les colons Terriens en gage de paix, les plantes sont l'espèce dominante, capables de raisonner et de s'adapter de manière plus ou moins importante selon chacune. Les humains doivent ainsi composer avec cette nouvelle forme d'intelligence, et cela ne sera pas toujours aisé, d'autant plus qu'à cela s'ajoutent différentes créatures plus ou moins dangereuses, et un climat particulièrement rude. L'auteur aborde des thématiques assez intéressantes, dont celle centrale de la communication sous toutes ses formes, les difficultés à garder ses idéaux face à la dure réalité et à la complexité de la psyché humaine, etc. L'histoire étant racontée par plusieurs personnages très différents les uns des autres, cela donne un récit écrit dans des styles narratifs assez variés, aussi certaines parties peuvent-elles moins plaire que d'autres, selon si le style du moment convient ou non, et ce d'autant plus que le rythme et les événements qui s'y déroulent sont plus entraînants dans certaines parties que dans d'autres. Et si l'histoire vaut vraiment le coup d'être lue, il faut toutefois s'accrocher un peu au début avant de parvenir à y entrer complètement.
Une découverte fort intéressante qui, bien que je considère que ce roman possède une certaine unité qui ne nécessite pas spécialement de suite, me poussera probablement à lire le deuxième tome lorsqu'il paraîtra en France.
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