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jeudi 5 novembre 2020

L'héritage du Rail (La Dernière Geste T2) - Morgan of Glencoe

 

 
L'héritage du Rail est le deuxième tome de La Dernière Geste, une série de fantasy qui mélange divers sous-genres tels que le steampunk, l'uchronie et la dystopie. Le premier tome, que j'avais adoré et qui a reçu le prix Elbakin 2020 dans la catégorie Romans francophones jeunesse, se terminait sur un épisode terriblement tragique. J'étais alors à la fois excitée et inquiète de découvrir ce que Morgan of Glencoe réservait à ses personnages dans cette suite, qui s'avère être une réussite.
 
Le roman débute directement après les événements qui marquaient la fin du premier tome, et c'est avec peine que nous nous remémorons le massacre des Rats, en particulier la mort de Sir Edward et de la jeune Selkie, Bran. Nekohaima Kenzô a attendu que le prince Louis-Philippe et sa troupe quittent les Égouts pour y pénétrer à son tour afin d'exécuter le Rat banni qui a trahi tous les siens, et se recueille à présent sur le cadavre de son meilleur ami. Yuri, "secourue" par le prince, se retrouve de nouveau enfermée dans sa cage dorée, effondrée de chagrin par la perte de ses amis dont elle se sent responsable. Mais la jeune princesse refuse d'avoir fait tout cela pour rien, hors de question de redevenir la jolie poupée qu'elle était autrefois. Elle monte alors un plan pour s'évader, encore mais cette fois-ci par ses propres moyens, et trouve refuge auprès des Fourmis de l'Orient-Express et de la Capitaine Trente-Chêne. Ce sera alors l'occasion pour elle de découvrir un autre mode de vie et peut-être de savoir enfin qui elle est vraiment.
 
Bon alors la première chose que j'ai fait quand j'ai lu le premier chapitre, c'est sauter de joie. Curieux, me direz-vous, face à un livre qui commence de manière aussi triste. En même temps je ne pouvais pas réagir autrement, car l'un des personnages emblématiques du premier tome que l'on croyait mort à la fin de ce dernier est en fait vivant. Bran, ma Selkie adorée, est VIVANTE ! J'avais été choquée par tous ces morts, en particulier par la sienne et celle de Sir Edward, même si l'on s'y attend pour ce personnage-ci, qui désirait pouvoir enfin rejoindre l'amour de sa vie dans les Ombres. Mais quand j'ai vu Bran se faire cribler de balles et être laissée pour morte... Je me suis dit que l'autrice était bien cruelle. Et en même temps je ne pouvais pas m'empêcher d'espérer avec des hypothèses du style : Taliesìn ne laisserait pas mourir son élève, donc peut-être va-t-il se sacrifier pour la ramener à la vie ? C'est un peu morbide comme espoir, mais au moins ma petite Bran serait vivante. Bon, heureusement ce n'est pas ce qu'il se passe dans cette suite, et l'explication de la survie de Bran est plus simple : en tant qu'apprentie Barde, elle est comme son maître, c'est-à-dire quasiment immortelle. C'est donc une Selkie très mal en point (immortel ne veut pas dire invulnérable) que Taliesìn ramène à Ren, qui va tout faire pour la soigner. Tâche qui ne va pas être aisée, car Bran est bien plus sensible que les autres, elle ressent les choses de manière bien plus intense, ce qui rend sa douleur extrêmement forte et dangereuse pour elle-même. Bran se retrouve ainsi dans une sorte de coma, à errer dans son propre esprit, fuyant la douleur qu'a fait naître en elle la perte de son père, Sir Edward. La jeune Selkie va donc devoir faire face à ses propres démons, ses peurs et sa tristesse. Et il lui reste encore un long chemin à parcourir, et bien des épreuves à surmonter, avant de devenir une Barde accomplie.
 
Outre Bran, j'ai été ravie de retrouver les personnages du premier tome, d'en voir évoluer certains et d'apprendre à en connaître d'autres que nous n'avions pas beaucoup vus précédemment.
Yuri, tout d'abord, personnage central de l'histoire qui devient de plus en plus intéressant. La vie dans les Égouts lui a permis d'acquérir une certaine assurance et un franc-parler qui ne plaît guère à son père, car son attitude va à l'encontre de son éducation. On voit clairement la différence entre la Yuri d'avant et la Yuri de maintenant, bien qu'elle soit toujours un peu perdue : elle sait ce qu'elle ne veut pas (être de nouveau enfermée dans sa cage dorée, épouser Louis-Philippe, rester sous la tutelle d'un homme, quoi), mais elle ne parvient pas encore à savoir ce qu'elle veut faire de sa vie (à part être libre), quelle est sa place. Ainsi sa quête d'identité continue, et c'est dans la Rame cinq du Rail que la jeune femme va la poursuivre, s'affranchissant ainsi à la fois de l'autorité de son père et des chaînes que constitue son éducation. J'ai vraiment beaucoup aimé ce que l'autrice a fait de ce personnage dans ce tome-ci.
Tout comme j'ai apprécié les changements qui s'opèrent chez son père, Nekohaima Kenzô. Dans le premier tome, il apparaît simplement comme un père froid et distant, très strict dans le respect des coutumes et qui ôte tout choix à sa fille pour la protéger. Mais ici il finit par comprendre que l'influence de Sir Edward sur Yuri demeure puissante même après sa mort, et qu'il est en train de la perdre. Ce constat, ainsi que la perte de ses amis et le danger qu'encoure la seule restante, la Reine Gabrielle, vont le pousser à faire des choix qui iront à l'encontre de tout qu'il défendait jusqu'à présent. Peut-être redeviendra-t-il enfin l'homme que sa défunte épouse, Mona, aimait tant ?
Ryûzaki et Levana (HA-17) ne sont pas non plus laissés de côté, et niveau affranchissement ils vont eux aussi être servis. Le duo va poursuivre Yuri pour la ramener auprès de son père, mais vont finalement se retrouver à voyager sur le Rail. Les changements dans le comportement de leur protégée les laissent assez perplexes et tous deux se sentent bien dépaysés dans l'univers de l'Orient-Express. Mais s'ils veulent pouvoir remplir leur devoir et protéger Yuri, ils n'ont d'autre choix que de la suivre. Si Ryûzaki a beaucoup de mal à changer ses habitudes, Levana surprend par sa capacité à accepter cette aventure. Il y a une sorte de dualité chez ce personnage : d'un côté elle a quelques difficultés à accepter d'éprouver des émotions qui vont à l'encontre de son statut d'objet (vu qu'elle a été créée pour être une arme), d'un autre côté elle apprécie, non sans étonnement, la manière dont les Fourmis la traitent (comme une personne). Levana est un personnage que je trouvais déjà particulièrement intrigant dans le premier tome, je l'apprécie encore plus dans celui-ci.
Je continue sur les personnages féminins dont il est important de parler, même brièvement. D'abord la Capitaine Trente-Chêne, qui dirige l'Orient-Express d'une main de fer mais toujours de manière juste. Les Fourmi lui vouent une loyauté sans borne, et la réciproque est vraie, et c'est ce qui donne sa force à la Rame Cinq. La Reine Gabrielle, quant à elle, fait enfin le choix de vivre pour elle-même en portant ouvertement le deuil de Sir Edward, l'homme qu'elle a tant aimé. Mais cela n'est pas au goût de tout le monde, ce qui va lui attirer de sérieux ennuis. Puis il y a Aliénor, dame de compagnie de la Reine, assez effacée dans le premier tome, mais qui prend de l'importance dans cette suite. Aliénor est une jeune femme intelligente et ambitieuse, qui s'avère avoir un don pour la manipulation. Et si elle est dévouée à la Reine, elle a tout de même ses propres objectifs. J'ai apprécié ce personnage fort, mais je n'arrive pour le moment pas à savoir si elle peut être considérée comme une alliée ou une ennemie. À voir...
Et le personnage que je continue de détester : le prince Louis-Philippe, qui rêve de grandeur (et de se débarrasser de son père, en passant) et d'être aimé par un peuple qu'il méprise. Il est toujours aussi hypocrite, quoique intelligent, mais il m'a surprise en agissant à quelques reprises de manière plutôt juste (dans la mesure où cela ne lui porte pas publiquement préjudice, car les apparences sont ce qui prime en politique). Je me demande quelle catastrophe il va bien pouvoir provoquer par la suite, vu ses ambitions...
 
Une belle palette de personnages, donc, efficacement développés dans ce deuxième tome, tout comme l'univers et l'intrigue le sont à travers la plume musicale de l'autrice, toujours aussi fluide et agréable.
Alors que dans le livre précédent nous étions enfouis dans les Égouts, dans cette suite nous roulons à vive allure dans le fameux Orient-Express. Alors que dans le livre précédent nous découvrions la vie des Rats sous terre, dans cette suite nous apprenons de manière plus approfondie ce qu'est la vie des Fourmis sur les rails. Tout est parfaitement organisé dans ce train, chacun y a son rôle, et chaque rôle est important dans le bon fonctionnement de la rame. On rencontre ainsi pas mal de personnages aux caractères bien particuliers que j'ai aimé découvrir. Je ne m'attarderai pas dessus, ce seront les petites friandises surprises de l'histoire. En parallèle des aventures de notre adorable troupe sur le Rail, nous continuons de suivre les intrigues politiques à la Cour de France. J'ai moins aimé ces passages-là car là n'étaient pas mes personnages favoris, partis bien loin à bord de l'Orient-Express. Cela ne veut pas dire qu'ils n'étaient pas intéressants, au contraire, car ce qui s'y déroule aura sûrement un sérieux impact sur la vie des personnages. Et ce d'autant plus que le Rail représente un enjeu politique majeur, du fait de son indépendance et de son seul lien possible avec Keltia, pays ô combien controversé pourtant si nécessaire pour les royaumes désirant garder un certain confort technologique.
Dans ce tome, point de pic intense d'adrénaline comme cela avait été le cas dans le précédent avec la bataille dans les Égouts. Le roman est ici plus équilibré, plus soutenu. Il y a quelques passages avec de l'action, mais nous sommes ici davantage centrés sur les révélations et la psychologie. Nous apprenons ainsi beaucoup de choses sur le passé de Nekohaima Kenzô, son histoire avec son groupe d'amis, tous décédés à l'exception de Gabrielle, et celle de son clan, impacté par son mariage avec Mona. Un gros secret va d'ailleurs nous être révélé...
Nous retrouvons les thématiques déjà abordées dans le roman précédent, telles que la liberté et la quête d'identité, auxquelles s'ajoutent d'autres thèmes comme la culpabilité et le deuil, qui a une place très importante ici car de nombreux personnages vont devoir y faire face, et ce ne sera pas toujours facile.
 
En bref... 
L'héritage du Rail est tout aussi passionnant que Dans l'ombre de Paris dont il est la suite directe. Bien que le rythme soit quelque peu différent, peut-être mieux équilibré entre révélations, intrigues politiques, action et introspections, ce deuxième tome nous fait replonger dans cet univers si particulier où se mêlent à la fois créatures légendaires, coutumes anciennes et technologie moderne. De cette plume toujours aussi fluide et musicale, Morgan of Glencoe poursuit les aventures de ses personnages aux personnalités si complexes et nous en fait découvrir d'autres tout aussi intéressants, et l'on continue d'en détester certains sans pouvoir s'empêcher de s'attacher à d'autres. Dans ce deuxième tome, les personnages continuent leur quête d'identité et de liberté, mais doivent également faire face à des sentiments particulièrement éprouvants tels que la culpabilité, la tristesse et l'immense souffrance qu'engendre la perte de l'être cher, le deuil prenant alors une place importante ici. Si cette suite est plus "calme", teinté d'une certaine mélancolie, ce qui s'y joue laisse entrevoir un troisième chant peut-être plus intense et inquiétant, aux enjeux plus... mondiaux.
J'ai hâte de découvrir ce que nous réserve l'autrice dans son prochain tome, dont elle a solennellement promis l'arrivée avant 2024.

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