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dimanche 24 mai 2020

Le Silence d'Isra - Etaf Rum







Coup de cœur pour ce roman magnifique et puissant.

Isra, jeune Palestinienne de 17 ans, est mariée à un Palestinien vivant aux États-Unis et se voit contrainte de quitter sa famille et son pays pour l'y suivre. Peut-être, se dit-elle, que là-bas les femmes ont plus de liberté qu'en Palestine ? C'est son rêve secret : la liberté, la reconnaissance de sa valeur. Malheureusement pour elle, la famille de son mari Adam est extrêmement attachée à leur culture : la femme doit s'occuper de la maison, faire des enfants (de préférence des fils, car les filles sont considérées comme des fardeaux alors que - c'est bizarre, hein - le Coran dit que les filles sont tout aussi importantes que les garçons) et les élever, se taire et obéir aux hommes, laisser son mari exprimer sa colère sur elle (oui, car il est normal que la femme souffre, que le mari batte l'épouse, etc.). Que de raisons de se révolter à la lecture de l'histoire de cette pauvre Isra, perdue au sein de cette famille à laquelle elle n'arrive pas à appartenir totalement, s'affaiblissant au fil de ses grossesses, s'effaçant de plus en plus sous les reproches de sa belle-mère…
En parallèle, nous suivons l'histoire de la fille aînée d'Isra : Deya, qui n'a pu beaucoup connaître ses parents, morts durant son enfance. Deya, jeune lycéenne, qui arrive à l'âge fatidique du mariage arrangé. Sa grand-mère fait défiler les prétendants, mais Deya ne veut pas se marier : elle veut aller à l'université, ce qui refusent ses grands-parents. En gros elle devra d'abord se marier et, si son mari le lui permet, alors elle pourra étudier à l'université. Mais bon, à quoi ça servirait, puisque de toute façon elle n'aura pas le droit de travailler et devra rester à la maison à pouponner ses enfants… Super plan de vie, auquel Deya n'adhère pas du tout. Aussi s'échine-t-elle à se rendre la moins aimable possible auprès de ses prétendants pour qu'ils ne fassent pas de demande. Mais Deya est perdue : doit-elle rejeter tout ce que lui a appris sa famille, sa culture, pour réaliser son rêve, ou au contraire doit-elle écouter sa grand-mère et renoncer à tout ce qui la caractérise pour s'effacer dans un mariage qu'elle ne souhaite pas ?


J'avais déjà entendu parler de ces traditions qui briment la femme, mais je ne connaissais pas tous ces détails, et je dois avouer avoir été choquée que, aujourd'hui encore, dans des pays censés évolués comme les États-Unis, subsistent encore de telles pratiques. Isra et Deya vivent dans un quartier des États-Unis assez pauvre où vivent d'autres Palestiniens, aussi restent-ils tous enfermés, malgré le fait d'avoir quitté la Palestine, dans les traditions de leur pays. Même si certains ont plus évolué au niveau des mentalités et des pratiques (certaines amies de Deya ont le droit d'avoir un téléphone portable, ont plus de libertés alors que Deya est forcée de rentrer directement chez elle après les cours et n'a pas le droit de sortir seule), d'autres s'accrochent à tout prix à ce qu'ils ont appris dans leur pays d'origine et forcent les générations suivantes à suivre leur exemple. C'est terriblement triste pour toutes ces femmes qui pensent que c'est normal de se faire battre par leur mari, qui n'ont pas le droit de travailler parce que leur devoir est de s'occuper de la maison, etc.

Irsa m'a beaucoup touchée dans sa détresse, son désir de liberté, son besoin d'exister pour autre chose que ce qu'on lui impose, sans réussir à trouver la voix qui lui permette d'obtenir tout cela. J'avais envie de lui crier de bouger, de parler, de ne pas se laisser faire : on ne peut s'empêcher de se révolter face à tant d'injustice, face à tant de mépris… Parfois je n'arrivais pas à comprendre son inaction, son incapacité à répondre. J'étais obligée de prendre une pause et d'essayer de me mettre à sa place, de penser à la manière dont elle a été éduquée, etc. Cela n'a pas été pas évident, mais c'était nécessaire pour comprendre ce qui lui arrive, même si je ne pourrai jamais me mettre totalement à sa place (c'est là que l'on se rend compte à quel point la différence culturelle peut dresser des barrières).

Un autre personnage que j'ai beaucoup aimé : Sarah, la sœur d'Adam, soit la belle-sœur d'Isra et tante de Deya. Lycéenne à l'époque où Isra arrive aux États-Unis, elle est née en Amérique et n'est jamais allée en Palestine. Elle ne comprend pas les traditions de ce pays lointain, et ne cesse de se révolter contre sa mère qui lui impose sans cesse les tâches ménagères tandis que ses frères jouent tranquillement les fainéants. Je ne peux pas en dire beaucoup sur elle sans dévoiler un élément crucial de l'histoire, mais c'est un personnage fort, que j'ai pu davantage comprendre (peut-être parce que sa manière de raisonner se rapprochait plus de la mienne).

Dans ce roman, on parle énormément des femmes, de leur absence de liberté comparé à celle des hommes qui peuvent tout faire, etc. Je tiens quand même à dire que oui, en effet, comparé aux hommes, ces femmes Palestiniennes ont très peu de chance ; mais finalement, avec toutes ces traditions, certains hommes ne sont pas aussi libres qu'on le croit. Adam, par exemple : il voulait devenir Imam mais a dû suivre sa famille aux États-Unis, n'a pas pu faire d'études (contrairement à ses petits-frères) mais travailler dans le magasin de son père, en même temps que dans son propre magasin. C'était lui, en tant qu'aîné, qui devait rapporter de l'argent pour toute la famille, qui devait aider son père, ses frères, etc. Une lourde charge pour un seul homme… Je ne dis pas que ses actes sont normaux (au contraire !), que sa manière de pensée était juste, mais lui aussi, au final, a été privé de liberté (moins que sa femme, mais quand même). C'était important pour moi d'ajouter cela.


En bref, un roman qui m'a touchée, perturbée, révoltée. L'écriture percutante d'Etaf Rum rend abordable une histoire particulièrement difficile, permettant ainsi à tout lecteur de plonger dans la vie de ces femmes brimées qui se battent pour leur liberté. À lire absolument !

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